Entretien avec Amélie Deprez, coordinatrice régionale Bruxelles de Médecins du Monde

Nous ouvrons ce nouveau volet de notre rubrique Un autre regard à celles et ceux qui viennent en aide aux plus démunis, que notre société laisse vivre dans la rue. Coordinatrice régionale bruxelloise de Médecins du Monde, Amélie Deprez évoque pour nous les situations d’extrême urgence humanitaire auxquelles son ONG fait face au quotidien.

Amélie Deprez, avant tout merci de nous consacrer un peu de votre temps. En quoi consiste le travail de Médecins du Monde à Bruxelles?

Notre cœur de métier, c’est de venir en aide à des personnes extrêmement déconnectées de la société, qui connaissent des problèmes de santé inhérents à la vie dans la rue. Ces personnes passent généralement sous le radar des structures plus institutionnelles.

Médecins du Monde n’agit pas seul, naturellement. Nous faisons notamment partie du Hub humanitaire pour personnes migrantes, un consortium de cinq ONG qui gèrent des problèmes différents :

·       Médecins du Monde organise des consultations médicales, sociales et obstétriques (avec des sage-femmes) ;

·       Médecins Sans Frontières assure les consultations psychologiques et de santé mentale ;

·       la Croix-Rouge s’occupe de rétablir les liens familiaux ;

·       la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés distribue des vêtements et des produits d’hygiène et oriente vers ses centres d’hébergement ;

·       SOS Jeunes – Quartier Libre AMO prend en charge les mineurs étrangers non accompagnés (MENA).

L’ONG Médecins du Monde Bruxelles compte-t-elle plutôt des bénévoles ou des employés dans ses rangs ?

Nous nous appuyons sur un noyau d’employés salariés et sur quelques agents contractuels subventionnés (ACS). Au niveau régional, nous bénéficions de l’aide d’Actiris et au niveau fédéral, nous avons accès au Fonds Maribel social pour quelques postes.

La grande majorité de nos collaborateurs sont des volontaires. Certains travaillent avec nous depuis 10 ou 15 ans. C’est une chance, car en recruter de nouveaux s’avère difficile. Nous lançons régulièrement des appels sur les réseaux sociaux. Comme Médecins du Monde a plutôt bonne presse, cela aide un peu. Nous avons connu un afflux de volontaires pendant la crise du Covid-19 et certains continuent à nos côtés.

Nos collaborateurs ont des profils variés : des soignants, naturellement, comme des médecins, des infirmières et infirmiers, des sages-femmes ou des psychologues, mais aussi des profils hors cadre médical pour l’accueil.

Par exemple, notre centre d’accueil, de soins et d’orientation (le CASO) fonctionne de 9 heures à 17 heures. Ce sont donc surtout des pensionnés qui y travaillent. Les consultations médicales dans les centres d’hébergement d’urgence (du New SAMUSOCIAL, de la Croix-Rouge ou de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés) s’organisent deux à trois fois par semaine en soirée. Et fort logiquement, on y retrouve davantage de jeunes médecins en activité.

Constatez-vous, comme les Banques Alimentaires, une augmentation de la demande ?

Au Hub Humanitaire, dans la partie centre de jour, nous offrons des repas, des douches et de l’orientation sociale. Nous sommes passés de 300-400 repas deux fois par jour au début de l’année à 800 repas deux fois par jour. La demande a donc doublé et c’est un triste record pour Médecins du Monde Bruxelles. Pour la distribution des repas, nous travaillons avec des associations comme les Cuistots solidaires, Serve the City, etc.

Nous constatons également une forte augmentation du nombre de demandeurs de protection internationale (DPI) qui s’adressent à nous. A la base, nous nous occupons des migrants en transit, c’est-à-dire ceux qui n’introduisent pas de demande d’asile et qui ne souhaitent donc pas s’établir en Belgique. Or, un nombre phénoménal de DPI vient s’ajouter, parce que l’Etat belge n’est pas capable de les héberger. Aujourd’hui, il faut entre trois et quatre mois entre la demande de protection internationale et la mise à disposition d’un hébergement par Fedasil.

Comme notre accueil est inconditionnel, nous prenons en charge ce public de DPI qui, normalement, n’est pas de notre ressort. En effet, c’est à l’Etat de leur offrir une protection, à commencer par un toit. Il s’agit d’un public avec des besoins bien spécifiques, que nous ne sommes pas équipés pour guider de manière adéquate. Mais comme opérer un tri entre personnes vivant dans le plus total dénuement n’est pas pensable, nous essayons malgré tout de leur venir en aide.

Quelles sont les principales pathologies que vous êtes amenés à traiter ?

Nous traitons surtout des maladies caractéristiques de la vie dans la rue : des maladies de la peau et des pathologies respiratoires qui, le plus souvent, pourraient être évitées par un hébergement.

Une épidémie de gale sévit parmi les personnes qui vivent en rue. On a beau la traiter, la recontamination est immédiate dès que l’on entre en contact avec une couverture ou des vêtements infectés. Nous diagnostiquons aussi des cas de diphtérie cutanée, principalement sur des personnes en provenance de Syrie ou d’Afghanistan, où la vaccination de routine, notamment contre la diphtérie, n’est plus correctement organisée. La diphtérie provoque des ulcères cutanés et se traite par antibiothérapie.

Nous constatons également d’importants problèmes de santé mentale. Il faut imaginer la détresse morale de ces personnes qui ont dû quitter leur pays et les gens qu’elles aiment dans l’espoir d’une vie meilleure ou tout simplement pour sauver leur peau. Elles ont connu les affres du parcours migratoire, affronté la peur et le danger. Et quand enfin elles arrivent en Europe, c’est la violence de l’accueil qui les frappe. Rejetées, parfois malmenées et dépouillées du peu qu’il leur reste, pour finir abandonnées dans la rue… On peut comprendre que les repères se perdent et que le désespoir s’installe. En fait, vivre dans la rue agit comme un catalyseur de l’anxiété et de la révolte.

Au début de l’année, c’étaient surtout des hommes seuls qui se retrouvaient dans la rue. Aujourd’hui, c’est encore pire. On y trouve maintenant des femmes, des familles avec enfants ou des mineurs non accompagnés.

Que répondre à ceux qui considèrent qu’héberger les migrants coûte trop cher ?

Tout d’abord, c’est une question de respect du droit international. Il est obligatoire pour l’Etat de fournir une aide matérielle, et donc un toit, aux personnes demandeuses de protection internationale. Du point de vue sanitaire, cela aggrave aussi des situations de santé déjà problématiques (problèmes de santé mentale, maladies infectieuses, maladies chroniques…) pour lesquelles une détection et un traitement précoce coûtent in fine moins cher qu’un traitement pour une situation aigüe Comme souvent, la prévention coûte moins cher que la réparation.

C’est vraiment regrettable de devoir utiliser un tel argument pour tenter de convaincre ou de faire bouger les choses. La décence voudrait qu’on ne laisse pas un être humain sans ressources dans la rue. En fait, nous l’utilisons davantage comme contre-argument à l’adresse de ceux qui considèrent qu’un accueil digne va créer « un appel d’air ». Comme si la perspective d’un hébergement provisoire allait pousser plus de gens à risquer leur vie à traverser la Méditerranée sur une embarcation de fortune… Aucun observateur sérieux ne confirmera cette théorie de l’appel d’air.

Il n’y a vraiment que Médecins du Monde et MSF pour soigner ces personnes ?

Selon une étude du Centre d’expertise du SPF Santé, les personnes en séjour irrégulier ou qui n’ont plus de mutuelle peuvent faire appel à l’aide médicale urgente (AMU), qui est d’ailleurs accessible à tous, sous certaines conditions. Or, que constate-t-on ? Que 80 à 90% des personnes qui pourraient bénéficier de l’AMU ne la demandent pas. En raison de la complexité des critères et des démarches à entreprendre qui, en plus, varient en fonction de chaque CPAS.

Un travail d’harmonisation est en cours depuis deux ans avec la Fédération des CPAS bruxellois. Médecins du Monde y représente le secteur social et santé. Il faut savoir que les CPAS eux-mêmes sont demandeurs d’une simplification de la mise en œuvre de l’AMU, car elle contribuerait à alléger le fardeau administratif qui les empêche de faire davantage de travail social sur le terrain.

Il n’empêche que le budget consacré à l’aide médicale urgente reste très insuffisant. En 2021, il s’élevait à 70 millions d’euros pour tout le pays, soit à peine 0,25% du budget total de l’Assurance Maladie Invalidité (plus de 28 milliards d’euros).

Comment vivez-vous cette situation ?

La charge de travail est devenue nettement plus prenante depuis le début de l’année 2022. Et la charge émotionnelle s’est alourdie également. Comme nous ne « trions » pas les demandeurs, nous essayons de venir en aide à toute personne qui s’adresse à nous. Mais cette demande a pris de telles proportions qu’elle dépasse à présent les limites de ce que nous sommes en mesure de faire pour ces personnes en détresse. Du coup, nous devons parfois leur dire non, parce que nos ressources matérielles et humaines sont épuisées. Et ça, c’est très difficile à vivre.

En tant qu’organisation, nous devons protéger nos collaborateurs de cette pression car, pour prendre soin des autres, il faut prendre soin de soi aussi. 

A cela s’ajoute une grande frustration à l’idée de ne pas être entendus. Il y a deux mois, un groupe d’ONG, dont la nôtre, a remis une série de recommandations très concrètes au Premier ministre pour sortir de la crise de l’accueil. Notre démarche a été assez mal reçue, comme si le gouvernement n’avait pas besoin de nos conseils et savait parfaitement quoi faire. Mais alors, pourquoi ne le fait-il pas ?

Il faut reconnaître qu’il n’y a jamais eu autant d’hébergements pour les sans-abris à Bruxelles, mais le manque de places d’accueil dans le réseau FEDASIL met une pression supplémentaire sur les centres d’hébergement d’urgence bruxellois.

Bien sûr, le gouvernement a dû faire face à plusieurs crises ces dernières années : la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, l’inflation, la crise énergétique… Nous sommes bien conscients du fait que la Belgique ne dispose pas d’un budget extensible. Mais ce qui nous va loin, c’est l’absence d’écoute.

 

Amélie Deprez, encore un grand merci pour cet entretien riche et interpellant. Les Banques Alimentaires partagent votre souci de venir en aide aux plus démunis. Et leurs bénévoles ne comprennent que trop bien les difficultés auxquelles vous faites face.

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